Cela
pourrait presque être une devise pour tout musicien en devenir :
un MTV Unplugged, et c’est la gloire assurée. On pourrait se dire
que MTV ne sélectionne pour ses émissions que les musiciens déjà
couronnés. Ce n’est pas entièrement faux, mais au fond, qui
connait réellement Die Fantastischen
Vier, Julieta
Venegas, ou Hikaru
Utada (tous passés dans cette
émission)?
Non, en réalité, ce sont la plupart des albums
issus des MTV Unplugged qui sont rentrés dans l’histoire. La
plupart dis-je, car je doute que le Mana
MTV Unplugged et le Shakira
MTV Unplugged aient laissé un souvenir
impérissable. Alors oui, les MTV Unplugged les plus célèbres ont
été réalisés par des artistes déjà célèbres. Mais dans de
nombreux cas ils ont boosté les carrières de leurs auteurs (aussi
bien au niveau commercial qu’auprès de la critique). Il s’est
donc bien passé quelque chose sur le plateau de MTV. Mais quoi ?
La
consécration
Dans
le cas d’Eric Clapton, on peut effectivement parler d’une
consécration. Son MTV Unplugged de 1992 a relancé sa
carrière, après des années de passage à vide, la mort de son ami
Stevie Ray Vaughan dans un accident d’hélicoptère qui aurait dû
lui coûter la vie à lui, puis celle de son fils Connor, tombé du
53ème
étage de son appartement. En 1992, il prend ses Martin ainsi que ses
meilleurs musiciens, et s’assied sur le plateau du MTV Unplugged.
Il reprend des standards de Robert Johnson (Walkin’Blues, Malted Milk), de Bo Diddley
(Before You Accuse Me), de
Muddy Waters (Rollin’ and Tumblin‘),
ou encore l’ultra classique Nobody Knows You When You’re Down and Out (petit
coup de cœur pour la version d’Odetta en passant) ; il pond
la plus belle version de Layla qu’on
ait entendue à ce jour (« See if
you can spot this one »), apaise
son Old Love, et
raconte à un public tout ouïe la détresse d’un père orphelin de
son fils dans Tears in Heaven. Le
son est limpide, l’ambiance calme. Clapton nous raconte quelque
chose : une histoire musicale et personnelle, qui passe par ses
doigts, sa Martin et sa voix (ici douce, apaisante et presque
virtuose sur Lonely Stranger).
Et comme dans toute histoire, il y a des couacs : Clapton ne les
aime pas, l’album est à deux doigts de ne pas être édité. C’est
pourtant chose faite. Il en vend 10 millions d’exemplaires, et
relance sa carrière. Il peut désormais se faire plaisir en sortant
des albums agréables mais un peu trop faciles avec quelques amis (JJ
Cale, BB King, entre autres), ou en partant faire des tournées
triomphantes (la dernière en date étant celle effectuée avec Steve
Winwood).
« It’s
better to burn out than to fade away »
On
parle ici de Nirvana. En 1993, le groupe grunge de Seattle vient de
sortir In Utero,
l’album préféré de Kurt Cobain, qui détestait Nevermind.
A ce propos, le mixage alternatif de cet album culte, effectué par
Steve Albini (producteur d’In Utero),
est à écouter : on y découvre ce qu’aurait dû être
l’album selon Kurt Cobain. Le trio enregistre son MTV Unplugged en
novembre 1993. Ce sera leur dernière production (si l’on omet You
Know You’re Right, titre moyen), et
probablement la plus intéressante. Une fois les amplis débranchés,
on découvre un Nirvana touchant. Leur grunge, sans les amplis, crie
toujours autant. Mais ces cris viennent du cœur, et ils sont
retenus. Cobain troque le grognement contre la plainte. Il préfère
écorcher une note inatteignable plutôt que de se casser la voix
(Lake Of Fire
entre autres), et
il se plante une fois de temps en temps : manifestations d’un
grunge qui prend le temps de s’exprimer autrement. La première
note ratée du solo de The Man Who Sold
The World est à ce titre formidable de
justesse. Le groupe joue quelques uns de ses bons morceaux, fait de
l’ombre à David Bowie, et
joue avec les frères Kirkwood trois chansons de leur groupe Meat
Puppets (Lake
Of Fire, Oh Me, Plateau). L’album se
solde par un Where Did You Sleep Last Night déchirant. Cobain lâche
progressivement ce qu’il a retenu pendant le concert. On atteint
des sommets. Rétrospectivement, il paraît abusif de dire que Kurt
Cobain a dit au revoir au monde ce soir là. Mais la plainte hurlante
de Where Did You Sleep Last Night,
dernier morceau du dernier album de Cobain, quelques mois avant son
suicide, est troublante. A l’image de l’ensemble de cet album.
La
redécouverte
Avant
d’être le producteur de Rihanna et de Beyoncé, et de parader sur
la scène de Bercy avec Kanye West au son d’un rap électronique
insupportable, Jay-Z a eu la bonne idée de sortir quelques
excellents albums. Après avoir sorti six albums studios, il
enregistre en 2001 son propre MTV Unplugged. Il y reprend une bonne
partie des morceaux de The Blueprint,
accompagné du groupe The
Roots. En soi, il n’y a pas de grands
changements par rapports aux albums studios de Jay-Z, mais le son est
plus rond, et on sent une véritable interaction avec le public.
Qu’il soit assis sur son tabouret ou sautillant, Jay-Z garde son
flow caractéristique, porté par des musiciens talentueux. Il invite
aussi deux artistes géniaux à partager la scène : Mary J.
Blige et Pharrell. A vrai dire, il n’y a pas grand-chose à
rajouter sur cet album excellent. Si à l’écoute du rap FM
d’aujourd’hui il vous prend l’envie d’écouter un autre rap,
pas forcément plus sincère, pas forcément plus légitime, mais à
coup sûr un peu plus recherché et véhiculant de belles émotions
en live, alors cet album est une bonne pioche.
Confessions
intimes
Evoquons,
pour finir, Lauryn Hill. Il serait dommage de s’arrêter à sa
carrière, certes remarquables, avec The
Fugees. Ne serait-ce que parce qu’en
tant qu’artiste solo, elle a fait un carton avec son album The
Miseducation Of Lauryn Hill (1998), qui
lui a valu 5 Grammy Awards. Mais aussi parce que son MTV
Unplugged 2.0, sorti quatre ans plus
tard, est singulier. Le concert est intimiste. Seule sur scène, et
entourée d’un public attentif, Lauryn Hill joue de la guitare et
chante. Ou plutôt elle prie. Elle entrecoupe sa prestation de
différents laïus sur sa vision de Dieu et de la religion. Ses
chansons sont une réponse aux questions soulevées par Dieu. Elles
sont aussi une bonne bourrade dans le dos de l’industrie musicale
qu’elle exècre. Elle se plante parfois grossièrement dans les
accords, elle a des trous de mémoire, mais elle continue avec le
sourire (I Get Out). Emouvante
et émue, elle fond en larmes à la fin de I Gotta Find A Place. Elle envoute sur Oh Jerusalem, et fournit une superbe
version de Mystery Of Iniquity, que
Kanye West samplera allègrement dans All Falls Down. Bref, Lauryn Hill fournit
une prestation engagée et musicalement séduisante, à la limite de
la folk et du R’n’B. Depuis, le MTV
Unplugged 2.0, ce cocktail musical a
fait bien des petits !
Quels
points communs ?
Dans
ces concerts, les artistes, qui souvent jouent et chantent assis, ont
essayé à leur manière de capter l’attention d’un public proche
et attentif. C’est peut être ce qui se ressent le plus dans tous
ces albums, du « See if you can
spot this one » de Clapton aux
prêches de Lauryn Hill, en passant par les vannes de Jay-Z. Avec
l’engagement du direct viennent aussi les petites bourdes. Mais les
fausses notes de Cobain et de Clapton ou les trous de mémoire de
Jay-Z et Lauryn Hill sont pardonnables, tant leurs prestations sont
bonnes. Ces petites erreurs les rendent mêmes attachantes. Allez
donc les (re)découvrir !
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