jeudi 12 juillet 2012

MTV Unplugged : c’est quoi la formule ?


 Cela pourrait presque être une devise pour tout musicien en devenir : un MTV Unplugged, et c’est la gloire assurée. On pourrait se dire que MTV ne sélectionne pour ses émissions que les musiciens déjà couronnés. Ce n’est pas entièrement faux, mais au fond, qui connait réellement Die Fantastischen Vier, Julieta Venegas, ou Hikaru Utada (tous passés dans cette émission)? Non, en réalité, ce sont la plupart des albums issus des MTV Unplugged qui sont rentrés dans l’histoire. La plupart dis-je, car je doute que le Mana MTV Unplugged et le Shakira MTV Unplugged aient laissé un souvenir impérissable. Alors oui, les MTV Unplugged les plus célèbres ont été réalisés par des artistes déjà célèbres. Mais dans de nombreux cas ils ont boosté les carrières de leurs auteurs (aussi bien au niveau commercial qu’auprès de la critique). Il s’est donc bien passé quelque chose sur le plateau de MTV. Mais quoi ?
 
La consécration
Dans le cas d’Eric Clapton, on peut effectivement parler d’une consécration.  Son MTV Unplugged de 1992 a relancé sa carrière, après des années de passage à vide, la mort de son ami Stevie Ray Vaughan dans un accident d’hélicoptère qui aurait dû lui coûter la vie à lui, puis celle de son fils Connor, tombé du 53ème étage de son appartement. En 1992, il prend ses Martin ainsi que ses meilleurs musiciens, et s’assied sur le plateau du MTV Unplugged. Il reprend des standards de Robert Johnson (Walkin’Blues, Malted Milk), de Bo Diddley (Before You Accuse Me), de Muddy Waters (Rollin’ and Tumblin‘), ou encore l’ultra classique Nobody Knows You When You’re Down and Out (petit coup de cœur pour la version d’Odetta en passant) ; il pond la plus belle version de Layla qu’on ait entendue à ce jour (« See if you can spot this one »), apaise son Old Love, et raconte à un public tout ouïe la détresse d’un père orphelin de son fils dans Tears in HeavenLe son est limpide, l’ambiance calme. Clapton nous raconte quelque chose : une histoire musicale et personnelle, qui passe par ses doigts, sa Martin et sa voix (ici douce, apaisante et presque virtuose sur Lonely Stranger). Et comme dans toute histoire, il y a des couacs : Clapton ne les aime pas, l’album est à deux doigts de ne pas être édité. C’est pourtant chose faite. Il en vend 10 millions d’exemplaires, et relance sa carrière. Il peut désormais se faire plaisir en sortant des albums agréables mais un peu trop faciles avec quelques amis (JJ Cale, BB King, entre autres), ou en partant faire des tournées triomphantes (la dernière en date étant celle effectuée avec Steve Winwood).


 
« It’s better to burn out than to fade away »
On parle ici de Nirvana. En 1993, le groupe grunge de Seattle vient de sortir In Utero, l’album préféré de Kurt Cobain, qui détestait Nevermind. A ce propos, le mixage alternatif de cet album culte, effectué par Steve Albini (producteur d’In Utero), est à écouter : on y découvre ce qu’aurait dû être l’album selon Kurt Cobain. Le trio enregistre son MTV Unplugged en novembre 1993. Ce sera leur dernière production (si l’on omet You Know You’re Right, titre moyen), et probablement la plus intéressante. Une fois les amplis débranchés, on découvre un Nirvana touchant. Leur grunge, sans les amplis, crie toujours autant. Mais ces cris viennent du cœur, et ils sont retenus. Cobain troque le grognement contre la plainte. Il préfère écorcher une note inatteignable plutôt que de se casser la voix (Lake Of Fire entre autres), et il se plante une fois de temps en temps : manifestations d’un grunge qui prend le temps de s’exprimer autrement. La première note ratée du solo de The Man Who Sold The World est à ce titre formidable de justesse. Le groupe joue quelques uns de ses bons morceaux, fait de l’ombre à David Bowie, et joue avec les frères Kirkwood trois chansons de leur groupe Meat Puppets (Lake Of Fire, Oh Me, Plateau). L’album se solde par un Where Did You Sleep Last Night déchirant. Cobain lâche progressivement ce qu’il a retenu pendant le concert. On atteint des sommets. Rétrospectivement, il paraît abusif de dire que Kurt Cobain a dit au revoir au monde ce soir là. Mais la plainte hurlante de Where Did You Sleep Last Night, dernier morceau du dernier album de Cobain, quelques mois avant son suicide, est troublante. A l’image de l’ensemble de cet album.


La redécouverte
Avant d’être le producteur de Rihanna et de Beyoncé, et de parader sur la scène de Bercy avec Kanye West au son d’un rap électronique insupportable, Jay-Z a eu la bonne idée de sortir quelques excellents albums. Après avoir sorti six albums studios, il enregistre en 2001 son propre MTV Unplugged. Il y reprend une bonne partie des morceaux de The Blueprint, accompagné du groupe The Roots. En soi, il n’y a pas de grands changements par rapports aux albums studios de Jay-Z, mais le son est plus rond, et on sent une véritable interaction avec le public. Qu’il soit assis sur son tabouret ou sautillant, Jay-Z garde son flow caractéristique, porté par des musiciens talentueux. Il invite aussi deux artistes géniaux à partager la scène : Mary J. Blige et Pharrell. A vrai dire, il n’y a pas grand-chose à rajouter sur cet album excellent. Si à l’écoute du rap FM d’aujourd’hui il vous prend l’envie d’écouter un autre rap, pas forcément plus sincère, pas forcément plus légitime, mais à coup sûr un peu plus recherché et véhiculant de belles émotions en live, alors cet album est une bonne pioche. 

 
 
Confessions intimes
Evoquons, pour finir, Lauryn Hill. Il serait dommage de s’arrêter à sa carrière, certes remarquables, avec The Fugees. Ne serait-ce que parce qu’en tant qu’artiste solo, elle a fait un carton avec son album The Miseducation Of Lauryn Hill (1998), qui lui a valu 5 Grammy Awards. Mais aussi parce que son MTV Unplugged 2.0, sorti quatre ans plus tard, est singulier. Le concert est intimiste. Seule sur scène, et entourée d’un public attentif, Lauryn Hill joue de la guitare et chante. Ou plutôt elle prie. Elle entrecoupe sa prestation de différents laïus sur sa vision de Dieu et de la religion. Ses chansons sont une réponse aux questions soulevées par Dieu. Elles sont aussi une bonne bourrade dans le dos de l’industrie musicale qu’elle exècre. Elle se plante parfois grossièrement dans les accords, elle a des trous de mémoire, mais elle continue avec le sourire (I Get Out). Emouvante et émue, elle fond en larmes à la fin de I Gotta Find A Place. Elle envoute sur Oh Jerusalem, et fournit une superbe version de Mystery Of Iniquity, que Kanye West samplera allègrement dans All Falls Down. Bref, Lauryn Hill fournit une prestation engagée et musicalement séduisante, à la limite de la folk et du R’n’B. Depuis, le MTV Unplugged 2.0, ce cocktail musical a fait bien des petits ! 

 


Quels points communs ?
Dans ces concerts, les artistes, qui souvent jouent et chantent assis, ont essayé à leur manière de capter l’attention d’un public proche et attentif. C’est peut être ce qui se ressent le plus dans tous ces albums, du « See if you can spot this one » de Clapton aux prêches de Lauryn Hill, en passant par les vannes de Jay-Z. Avec l’engagement du direct viennent aussi les petites bourdes. Mais les fausses notes de Cobain et de Clapton ou les trous de mémoire de Jay-Z et Lauryn Hill sont pardonnables, tant leurs prestations sont bonnes. Ces petites erreurs les rendent mêmes attachantes. Allez donc les (re)découvrir !

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