C'est pourquoi je vous laisse apprécier, autant que je l'ai apprécié, Jack White par Paul.
Parcours d'un électron libre
Il
n’est plus avec Megan, il n’est plus avec les Raconteurs,
il n’est plus avec les Dead Weathers.
Le voilà seul. Pas sûr que cela dérange Jack White, authentique
solitaire de la musique, qui passe plus de temps avec ses guitares
rafistolées de toutes pièces qu’avec qui que ce soit d’autre.
Pourtant, des projets et des groupes, il en a eu. Véritable électron
libre, il a tout cassé sur la planète rock en seulement quelques
années. Les années 1980 eurent leur David Bowie, les années 1990
furent celles de Cobain, et les années 2000 furent celles de Jack
White.
Jack
White est un anticonformiste qui s’est jeté dans la musique parce
qu’elle était incompatible avec sa vocation de prêtre. Etrange
raisonnement. Il a créé l’hymne des années 2000, repris depuis à
hu et à dia, avec sa sœur-femme Megan White au sein des White
Stripes, à savoir "Seven Nation Army". Les White
Stripes ont fait les belles heures de
la dernière décennie avec un rock gras, root, mais parfois un peu
creux. Dans le domaine du garage rock, ils étaient les meilleurs.
Les expériences musicales en binôme autres que totalement folk ou
totalement électro ont souvent été bancales. Les Kills
ont eu leur petite heure de gloire, mais le soufflet retombe. MGMT
est un excellent groupe de studio mais il n’est pas bon sur scène.
Quant au succès des Crystal Castles, il
est plus dû à l’originalité de l’approche qu’à la solidité
de leur concept musical.
Mais
Jack White ne s’en est pas arrêté là. Parallèlement aux White
Stripes, qui ont arrêté leur périple
en 2007, il joue avec les Raconteurs,
l’un des premiers super-groupes de la décennie 2000. L’expérience
est peut-être moins médiatisée, mais pas moins convaincante :
on a affaire à du rock tout aussi gras que les White
Stripes, mais probablement plus rond
dans le son. Il faut dire que les Raconteurs
sont quatre, ce qui change nettement la
donne. Le tubissime "Steady as She Goes"
témoigne de cette évolution.
La
dernière expérience de Jack White est celle des Dead
Weather, un autre super-groupe, formé
avec la chanteuse des Kills, un
membre des Raconteurs et
un membre des Queens of the Stone Age.
Il joue avec brio le rôle de batteur
(car en plus d’être un brillant guitariste, il joue de la batterie
et du piano). A côté de l’énorme Them
Crooked Vultures, qui rassemble le
leader de Queens of the Stone Age (Josh
Homme), le mythique bassiste de Led
Zeppelin (John Paul Jones), et le
surbourrin batteur de Nirvana (Dave
Grohl), Dead Weather
fait office de petit poucet. Mais enfin le résultat n’est pas
mauvais : c’est noir, faussement anarchique, et complètement
nouveau. Mais le groupe pâtit d’une certaine tendance à la
répétition, ce qui est problématique, pour voir qu’ils n’ont
fait que deux albums.
Au
final, Jack White a été leader du groupe qui a remis un peu le
boxon dans une scène rock dominée par la Brit Pop après la mort de
Nirvana, et a été le centre de projets extrêmement intéressants.
Ses deux super-groupes ont été parmi les plus novateurs à défaut
d’être les plus impressionnants. En termes d’activité et de
créativité, seuls quelques énergumènes peuvent prétendre le
concurrencer, parmi lesquels le virevoltant et mystérieux Damon
Albarn (Blur, Gorillaz, The Good, The
Bad and The Queen, entre autres), et le
fameux Josh Homme, qui a rendu accessible au grand public le stoner
rock avec les groupes Kyuss,
Queens of the Stone Age et
Eagles of Death Metal (groupe
excellent : le nom est trompeur).
Jack White tout seul, ça vaut le coup ?
Eh
bien oui ! Son nouvel album solo Blunderbuss
qui vient juste de sortir est un excellent mélange de toutes ses
influences. On retrouve autant les guitares saturées qui l’ont
fait connaître (Freedom at 21, I’m Shakin’), que le côté blues qui
était une autre facette des White
Stripes (Love Interruption). Celui qui
voulait devenir prêtre et dont le morceau préféré est "John the Revelator" de Son
House (une vieille chanson a
cappella qui représente à elle seule
tout un pan de l’histoire du Sud des Etats-Unis), mélange donc ses
influences du bayou, du garage rock, du blues et de la musique folk.
De la musique de saloon fait parfois irruption, comme dans "Trash Tongue Talker" ou "Guess I Should Go To Sleep". Mais la diversité
ne réside pas seulement entre les chansons. Certaines mélangent
carrément tout, parfois sans transition : Take
Me With You When You Go commence comme
un morceau presque jazzy (si ça devait rappeler quelque chose de
connu dans le domaine du jazz, ce serait à la croisée de Dave
Brubeck et d’Herbie Hancock), et finit en rock bien fuzzy. On
retrouve ici une clarinette, là une choriste un peu kitsch ou une
petite distorsion de la voix. Si les mélanges sont surprenants, ils
ne sont pourtant pas indigestes, et constituent plutôt une musique
aboutie. On y retrouve sa voix caractéristique, jamais complètement
juste, jamais fausse non plus, toujours un peu trop haute, mais
terriblement rock.
Cet album
n’est pas révolutionnaire, loin s’en faut. Mais s’il éprouve
parfois des formules qu’on commence à un peu trop connaître, il a
le mérite de rappeler que le rock a des racines plus profondes que
ce que sa popisation actuelle suggère. Pourtant, et c’est là que
Jack White fait preuve d’une extraordinaire capacité de synthèse,
jamais sa musique n’est nostalgique de ses racines. Il a pris le
meilleur de chaque période pour le fondre dans un ensemble unique et
étrange, où rien n’est renié. C’est peut-être pour ça qu’un
grand nombre de spécialistes trop pressés le considèrent déjà
comme le plus grand musicien du XXIème siècle. Son influence et son
génie sont en tout cas indéniables.
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