vendredi 4 mai 2012

Blunderbuss - Jack White

Cette semaine j'ai le plaisir de céder ma place à un autre amoureux de la musique. Sa culture musicale n'a d'égale que sa passion pour celle-ci. J'ai énormément d'affection pour lui car en plus d'être une fine plume, il est surtout mon ami. 
C'est pourquoi je vous laisse apprécier, autant que je l'ai apprécié, Jack White par Paul.

Parcours d'un électron libre

Il n’est plus avec Megan, il n’est plus avec les Raconteurs, il n’est plus avec les Dead Weathers. Le voilà seul. Pas sûr que cela dérange Jack White, authentique solitaire de la musique, qui passe plus de temps avec ses guitares rafistolées de toutes pièces qu’avec qui que ce soit d’autre. Pourtant, des projets et des groupes, il en a eu. Véritable électron libre, il a tout cassé sur la planète rock en seulement quelques années. Les années 1980 eurent leur David Bowie, les années 1990 furent celles de Cobain, et les années 2000 furent celles de Jack White
 

Jack White est un anticonformiste qui s’est jeté dans la musique parce qu’elle était incompatible avec sa vocation de prêtre. Etrange raisonnement. Il a créé l’hymne des années 2000, repris depuis à hu et à dia, avec sa sœur-femme Megan White au sein des White Stripes, à savoir "Seven Nation Army". Les White Stripes ont fait les belles heures de la dernière décennie avec un rock gras, root, mais parfois un peu creux. Dans le domaine du garage rock, ils étaient les meilleurs. Les expériences musicales en binôme autres que totalement folk ou totalement électro ont souvent été bancales. Les Kills ont eu leur petite heure de gloire, mais le soufflet retombe. MGMT est un excellent groupe de studio mais il n’est pas bon sur scène. Quant au succès des Crystal Castles, il est plus dû à l’originalité de l’approche qu’à la solidité de leur concept musical.
Mais Jack White ne s’en est pas arrêté là. Parallèlement aux White Stripes, qui ont arrêté leur périple en 2007, il joue avec les Raconteurs, l’un des premiers super-groupes de la décennie 2000. L’expérience est peut-être moins médiatisée, mais pas moins convaincante : on a affaire à du rock tout aussi gras que les White Stripes, mais probablement plus rond dans le son. Il faut dire que les Raconteurs sont quatre, ce qui change nettement la donne. Le tubissime "Steady as She Goes" témoigne de cette évolution.
La dernière expérience de Jack White est celle des Dead Weather, un autre super-groupe, formé avec la chanteuse des Kills, un membre des Raconteurs et un membre des Queens of the Stone Age. Il joue avec brio le rôle de batteur (car en plus d’être un brillant guitariste, il joue de la batterie et du piano). A côté de l’énorme Them Crooked Vultures, qui rassemble le leader de Queens of the Stone Age (Josh Homme), le mythique bassiste de Led Zeppelin (John Paul Jones), et le surbourrin batteur de Nirvana (Dave Grohl), Dead Weather fait office de petit poucet. Mais enfin le résultat n’est pas mauvais : c’est noir, faussement anarchique, et complètement nouveau. Mais le groupe pâtit d’une certaine tendance à la répétition, ce qui est problématique, pour voir qu’ils n’ont fait que deux albums.
Au final, Jack White a été leader du groupe qui a remis un peu le boxon dans une scène rock dominée par la Brit Pop après la mort de Nirvana, et a été le centre de projets extrêmement intéressants. Ses deux super-groupes ont été parmi les plus novateurs à défaut d’être les plus impressionnants. En termes d’activité et de créativité, seuls quelques énergumènes peuvent prétendre le concurrencer, parmi lesquels le virevoltant et mystérieux Damon Albarn (Blur, Gorillaz, The Good, The Bad and The Queen, entre autres), et le fameux Josh Homme, qui a rendu accessible au grand public le stoner rock avec les groupes Kyuss, Queens of the Stone Age et Eagles of Death Metal (groupe excellent : le nom est trompeur). 
 

Jack White tout seul, ça vaut le coup ?

Eh bien oui ! Son nouvel album solo Blunderbuss qui vient juste de sortir est un excellent mélange de toutes ses influences. On retrouve autant les guitares saturées qui l’ont fait connaître (Freedom at 21, I’m Shakin’), que le côté blues qui était une autre facette des White Stripes (Love Interruption). Celui qui voulait devenir prêtre et dont le morceau préféré est "John the Revelator" de Son House (une vieille chanson a cappella qui représente à elle seule tout un pan de l’histoire du Sud des Etats-Unis), mélange donc ses influences du bayou, du garage rock, du blues et de la musique folk. De la musique de saloon fait parfois irruption, comme dans "Trash Tongue Talker" ou "Guess I Should Go To Sleep". Mais la diversité ne réside pas seulement entre les chansons. Certaines mélangent carrément tout, parfois sans transition : Take Me With You When You Go commence comme un morceau presque jazzy (si ça devait rappeler quelque chose de connu dans le domaine du jazz, ce serait à la croisée de Dave Brubeck et d’Herbie Hancock), et finit en rock bien fuzzy. On retrouve ici une clarinette, là une choriste un peu kitsch ou une petite distorsion de la voix. Si les mélanges sont surprenants, ils ne sont pourtant pas indigestes, et constituent plutôt une musique aboutie. On y retrouve sa voix caractéristique, jamais complètement juste, jamais fausse non plus, toujours un peu trop haute, mais terriblement rock. 
 

Cet album n’est pas révolutionnaire, loin s’en faut. Mais s’il éprouve parfois des formules qu’on commence à un peu trop connaître, il a le mérite de rappeler que le rock a des racines plus profondes que ce que sa popisation actuelle suggère. Pourtant, et c’est là que Jack White fait preuve d’une extraordinaire capacité de synthèse, jamais sa musique n’est nostalgique de ses racines. Il a pris le meilleur de chaque période pour le fondre dans un ensemble unique et étrange, où rien n’est renié. C’est peut-être pour ça qu’un grand nombre de spécialistes trop pressés le considèrent déjà comme le plus grand musicien du XXIème siècle. Son influence et son génie sont en tout cas indéniables.

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